Plantation sur les toits – futur de l’agriculture et de l’urbanisme

Publication: 09/02/2014 10h12
Potager Sur Le Toit
extrait de http://www.huffingtonpost.fr/elisabeth-pelegringenel/plantation-toits-agriculture-urbaine_b_4744944.html

Après la construction de maisons sur le toit comme possibilité d’offrir des logements supplémentaires et comme source de financement pour entreprendre des travaux conséquents dans son immeuble, restons encore un moment sur les toits plats.

On y étend son linge, on y collecte l’eau de pluie et surtout on s’y retrouve dans de nombreux pays méditerranéens. Le Corbusier dans ses cités radieuses y avait placé une école maternelle, des espaces communs et une pataugeoire. Le toit comme une place publique. Certaines tours d’habitation notamment super-montparnasse à Paris ont installé une piscine au sommet du trentième étage qui sert de réservoir d’eau en cas d’incendie. On croise fréquemment un monsieur en peignoir dans l’ascenseur. Il ne descend pas acheter son pain mais monte à la piscine.

Pourtant la culture française s’intéresse peu à cette cinquième façade et c’est dommage. Elle est généralement encombrée d’édicules techniques diverses tous plus moches les uns que les autres. Parfois, on l’habille de capteurs solaires, ou des panneaux photovoltaïques. Elle n’a pas été conçue pour être utilisée et ne possède pas toujours de garde-corps conformes, son accès reste périlleux avec souvent une échelle escamotable impraticable. Et c’est dommage.

Aujourd’hui, on lui redécouvre des qualités. Pourquoi ne pas y installer des serres et des potagers ? L’agriculture urbaine a d’abord fait sourire, voire ricaner, mais c’était du temps où les fraises arrivaient directement par avion et se mangeaient en hiver, sans état d’âme. Depuis quelques années, des étudiants ou des illuminés dessinent des projets utopiques de fermes urbaines. Ils imaginent des tours futuristes avec parfois des plateaux qui tournent sur eux mêmes pour suivre la course du soleil, avec des étages de culture et d’autres d’élevage (de petits animaux, tout de même, juste des poulets ou des lapins). Ils ont peut-être simplement une longueur d’avance.

En effet, il devient urgent de changer nos habitudes et d’inventer des alternatives à la culture intensive actuelle. Une tour de 200 mètres de hauteur serait susceptible de nourrir 50 000 personnes, cela fait réfléchir.

Aujourd’hui la ferme urbaine se concrétise au travers de réalisations ça et là. En novembre 2012, la ville de Vancouver a inauguré une ferme verticale installée au dessus d’un parking. La société Local Garden produit 75 tonnes par an de légumes verts qui sont distribués dans un rayon de 10 kilomètres. Une serre de 560 m2 pour les cultures installées dans des bacs empilés sur douze étages reposant sur des convoyeurs qui permettent de donner aux plantes une même exposition à la chaleur et à la lumière. Vancouver a pour objectif de devenir la ville la plus verte du monde à l’horizon 2020 avec le doublement de ses emplois verts, une réduction d’un tiers de ses émissions de gaz à effet de serre et une augmentation de ses stocks alimentaires.

L’agriculture urbaine, à défaut d’une véritable ferme en forme de tour, se décline désormais sur les toits de n’importe quelle construction : centres commerciaux, bureaux, logements, tout est bon. On installe une isolation, une membrane étanche, un couche drainante, un sol et un milieu nutritifs (compost pur) pour les plants et le tour est joué. On peut opter aussi pour des cultures hydroponiques (milieu aqueux riche en nutriments).

Les fermes urbaines ont d’abord envahi les toits canadiens et new yorkais. Depuis 1995, par exemple, des serres situées sur le magasin Eli Zabar à Manhattan récupèrent la chaleur de la boulangerie du dessous et approvisionnent directement en légumes le rayon primeurs du supermarché. Sky Vegetables en Californie installe des cultures sur les centres commerciaux de la région. Lufa Fram au Canada a lancé en 2009 2900 m2 de cultures sur les toits d’un immeuble tertiaire et distribue plus de 3000 paniers chaque semaine.

Les bailleurs sociaux français s’y mettent. A Vitry sur Seine, dans le quartier Balzac, l’OPH a construit avec l’architecte B. Rollet 29 logements sociaux avec jardins collectifs et atelier commun au rez-de-chaussée mais aussi une serre de 44 m2 et son jardin potager de 167 m2 sur les toits. Enfin, de nombreuses associations s’activent. Le collectif Babylone porte ainsi le projet Toits vivants en France.

Il s’agit de produire local, de supprimer les circuits de distribution et donc les camions de livraison, mais aussi le stockage et la réfrigération en s’appuyant sur internet. Une révolution. On regarde les offres du jour, il faut juste accepter de manger des choux et des poireaux l’hiver et des tomates et des fraises l’été, on commande son panier et on vient le chercher. Les premières expérimentations montrent que la production n’est pas plus polluée que celle issue de l’agriculture traditionnelle. Enfin, les toitures vertes jouent un rôle sur le climat et font baisser les pics de chaleur.

L’engouement pour une agriculture proche des consommateurs est tel qu’elle envahit aussi les rez-de-chaussée des villes. Les friches, les talus des chemins de fer, mais aussi l’espace public. On voit fleurir à l’initiative des « incroyables comestibles » un mouvement venu de Grande Bretagne des jardins potagers « publics » dans des bacs ou des palettes recyclées un peu partout. Les habitants sont invités à les cultiver et à se servir. La nourriture est « à partager ». Les ronds-points, par exemple, offrent de belles surfaces cultivables. La France en compterait plus de 40 000…. Leur rayon varie de 3 à 15 mètres. Faite le calcul de surface comestible !

Les parcs et jardins ont toujours fait partie de la ville, et le potager ou la campagne n’était jamais loin. Aujourd’hui c’est différent. Les habitants regroupés en associations s’opposent souvent à des projets de construction et réclament à la place des espaces verts pour respirer. Mais leur regard change : ils apprécient de plus en plus des jardins plus familiers et familiaux avec des potagers collectifs. Après les maraîchers, toujours menacés, qui développent des circuits courts de distribution (les amap, association pour le maintien d’une agriculture paysanne) en initiant cette fameuse relation directe avec le client, qui est bien dans l’air du temps, on envisage un avenir encore plus local et des pratiques de consommation plus participatives. Avoir le plaisir de consommer des carottes qui proviennent du toit d’à côté mais aussi, pourquoi pas, apprendre à les cultiver et pouvoir montrer à ces enfants que les poireaux ne poussent pas au supermarché mais juste au dessus sur le toit.